Matière et mémoire
La vie est fugace, fragile, imprévue. Sans crier gare, ses éclairs viennent strier le ciel. Le travail de Giovanni Buzi aspire à recueillir les gouttelettes de cet ouragan, à leur rendre ausitôt la liberté pour les offrirà votre soif.
C’est un travail nourri d’instants, entrecoupé de multiples césures, d’aller-retour sans repentir ni regret. C’est cela la matière: la chaîne infinie des métamorphoses, des vies sédimentées en roches, l’éros qui propulse les ascètes, l’alchimie des noirs et blancs qui éclatent comme un fruit trop mûr en mille reflets moirés, étincellants. Seul compte l’échange des regards entre le spectateur et ce qui a pu éclore sur les supports les plus divers : papier, toile, panneau d’armoires éventrées, plexiglas.
Pour Giovanni Buzi, vivre c’était peindre. Même aux moments les moins attendus : un plat qu’on déguste, les étals multicolores de fruits sur des marchés au Mexique, l’extase baroque de Sainte-Cécile dans une église du Trastevère, les cris perçants des prisonniers de la roue à la foire du Midi. Il peignait en lisant : la mélopée des cimetières d’Isaac Babel, les ocres et les verts des terres arides de Guimarães Rosa, le murmure des crépuscules romains de Carlo Levi. Il peignait constamment en écrivant.
Si peindre, c’est vivre, le résultat ne peut décorer un salon comme ces épouvantails chamarrés prédestinés à être exposés dans un musée. Il ne peut être que fragment, prémonition, tentative ou hybrides échappés des nuits de la raison. Il doit pouvoir être broyé, brûlé, découpé pour quela danse incessante de la matière ne prenne fin et puisse briser les certi- tudes bien établies. Il vous demande un regard ouvert, libéré des doctes références, prêt à enclencher un rire ou un haut le cœur selon votre humeur du moment.
Dans ce travail, Rome occupe une place toute particulière. Elle a été une étape de sa conquête de la liberté. Elle est restée la palette des couleurs. Ses murs irréguliers pouvaient annoncer toutes les formes. Chacune de ses places a vu se superposer tour à tour des temples, des thermes, des marchés et des ruines. Toutes contiennent les lieux in-nombrables où les humains ont créé, adoré et déchu des dieux comme autant de caricatures d’eux-mêmes. Rome et ses anges, ses bûchers, ses couchers de soleil, et ses statues dont les ombres reprennent vie la nuit à la recherche du plaisir.
Laurent Vogel
Extrait du catalogue "Rome: matière et mémoire"
Enghien 2015
