Textes lus lors de la crémation de Giovanni Buzi

le 23 mars 2010

Intervention de Laurent Vogel

Gianni bien aimé

Il y a quelques semaines, à l’hôpital, tu plaisantais sur ma capacité de parler en public dans de nombreuses langues et dans les contextes les plus variés. Tu m’avais vu dans une assemblée de mineurs au Pérou, dans des universités, dans des fêtes, sur des marchés. Aujourd’hui, j’essaierai d’être à la hauteur et de parler sans que ma voix ne se brise.

Nous nous sommes connus il y a un peu plus de 25 ans. En août 1984. Dans un jardin public à Rome, sur les pentes du Capitole, face au ghetto, au Tibre et à un temple de Vestales.

J’étais à Rome après cinq années de vie en Amérique latine. Je ne savais pas si j’y resterais quelques jours, quelques semaines ou quelques mois. Nous nous sommes revus dans un petit appartement qu’on m’avait prêté dans le quartier de Borgo. Quelques jours plus tard, tu m’invitais à m’installer chez toi. Le déménagement fut facile. Toutes mes affaires tenaient dans une petite valise en toile qui puait la pénicilline. Nous partagions un lit étroit encastré dans la bibliothèque. Dormir ensemble dans un accord parfait fut d’emblée plus intime que tous les jeux d’Eros.

A l’époque, un des grands avantages des relations homosexuelles est que nous tournions résolument le dos au modèle familial. Nous nous sommes aimés, nous nous sommes donné du plaisir, nous avons commencé à partager d’innombrables choses sans jamais nous poser la question du temps que cela pouvait durer. Notre seul engagement était de toujours nous dire la vérité. Nous étions libres, sans la moindre pression sociale pour maintenir artificiellement une relation qui se serait fanée. Tout tenait dans un don réciproque qui se renouvelait à chaque instant. L’éphémère est devenu éternel sans rien perdre de sa légèreté.

Les derniers jours, ton amour de la beauté s’était concentré sur les odeurs. Nous nous enivrions de cocktails de senteurs que je préparais conseillé par Corinne et Stefano. Au bois de rose, à la myrrhe, aux huiles dont le nom ravissait, inconnu et magique, le ravinsara, la litsée, l’ylang ylang , le petigrain.

Quand je t’ai connu, tu étais habité par la peinture, une peinture sensuelle qui interrogeait les formes et qui appelait le regard plus que les commentaires. Il y a trois mois, à l’occasion de ta dernière exposition, ta voix affaiblie demandait à chaque visiteur qu’il prenne quelques minutes de silence pour qu’un dialogue s’engage avec ce que tu pressentais être tes derniers tableaux. Tu en avais peint fébrilement 200 ou 300 en trois mois, pendant la courte trêve que t’a accordée la maladie. Tu n’aimais pas la peinture faite pour être commentée. Tu pensais qu’un peintre doit laisser ses tableaux en liberté, se taire pour qu’ils parlent leur propre langage avec ceux qui les regardent. Arrivé à Bruxelles, tu as senti l’appel de l’écriture. Tu as voulu recréer un monde dont tu étais sorti. La distance géographique était la moindre des choses. Tu savais amèrement que l’Italie n’arrêtait pas de changer en pire.

Pendant ces 25 années, nous avons mené des activités très dissemblables. Une force invisible donnait une cohérence à ce qui aurait pu sembler un mannequin désarticulé. Tu étais dans tout ce que je faisais, y compris dans les aspects techniques les plus éloignés de l’art. Je crois aussi que j’étais dans tout ce que tu faisais. C’étaient des affinités obscures mais tenaces. Elles rejaillissaient inopinément à la surface dans des amitiés partagées, des livres que nous avions aimés l’un après l’autre, la même révolte à l’égard d’une injustice, un voyage ou la visite d’une exposition. Nos opinions pouvaient différer sur bien des sujets mais elles semblaient surgir du même fleuve souterrain où la quête du beau, du plaisir et le respect des individus se mêlaient à la volonté d’un autre monde débarrassé de ce qui empêche les humains de s’accomplir et de s’émanciper.

Tout au long de ta maladie, j’ai senti que je n’allais pas seulement perdre un être aimé. J’allais être amputé d’une part essentielle de moi-même. Je sais que tu as retardé le moment de la mort et que tu as accepté de passer par de terribles souffrances pour le seul motif que tu me répétais sans cesse : « je ne veux pas te laisser seul ».

Il y a une quinzaine d’années au cours d’un de nos séjours au Mexique, nous étions dans une petite ville du Sud. J’avais été consulter les horaires des autobus à la gare routière pour qu’on décide où on irait le lendemain. Nous avions du temps devant nous. On devait retrouver un ami dix jours plus tard à Mérida. Je t’ai dit : si on prend tel autobus, on sera en moins de quinze heures à San Salvador. Tu es resté silencieux pendant quelques minutes. Tu m’as ensuite demandé : tu veux y retourner pour tes amis vivants ou pour les morts ? J’ai répondu que c’étaient mes amis morts qui comptaient le plus. J’aurais aimé revoir des lieux où nous avions été ensemble. Un bar, les pentes du volcan d’Izalco, ce petit village aux tamariniers centenaires, la rue où nous tenions des réunions, hébergés par un sympathisant. Nulle tombe à visiter : la plupart de mes amis étaient des disparus, morts sous la torture, leurs corps sans doute jetés dans l’océan. Tu m’as effleuré la main et tu m’as dit : « Cela fait dix ans que je te connais. Tu n’a pas passé une minute sans eux, chaque intonation de ta voix, ton travail, tes rêves, ta manière de vivre reflètent tout ce qu’ils t’ont donné. Tu ne me parles presque jamais d’eux mais j’ai aussi appris à les aimer dans ta réserve et tes silences ».

Aujourd’hui Gianni c’est ta présence que je veux préserver. Nous qui sommes athées savons que nous pouvons survivre, que l’immortalité est là pourvu qu’on ait croqué la vie à pleines dents et que l’on ait agi pour que tous les êtres humains accèdent à cette possibilité. Ce que nous avons créé, l’amour que nous avons donné, les révoltes, les luttes, les rires et les larmes créent une chaîne infinie. Je continue à croire au plus profond de moi qu’un jour il y aura un temps autre que le temps ordinaire. Comme disait Boris Vian :
« Inutile de fixer maintenant
Les détails précis de tout ça.
Une certitude subsiste : un jour.
Il y aura autre chose que le jour ».

Huit siècles plus tôt, Maïmonide n’avait pas dit autre chose. Scrupuleux, il avait tenu à préciser dans son douzième principe « bien qu’il arrive en retard ».

J’ignore le chemin mais je sais que tu m’aideras à aller de l’avant. Et j’espère que Gianni vous aidera toutes et tous à votre manière et à votre rythme vers ces temps où il y aura un autre jour que le jour.

Laurent

Intervention de Ramona Plaza

A notre cher Gianni
Ses amis, ses élèves du Groupe Socialiste, du Parlement européen


Gianni nous a quittés, mais il aura à tout jamais une place toute spéciale dans le cœur de toutes celles et ceux qui avons eu la chance de le connaitre et le privilège de parcourir des petits sentiers bien gais du chemin de vie avec lui.

Gianni était un grand homme, joyeux, coquin, loyal, sincère, généreux et de toute sensibilité. Aussi, un grand artiste, peintre, écrivain et enseignant. Il vivait chaque instant avec passion et émotion, et c'est une portion de cette passion et de l'amour du partage, de la vie et son regard "chromatique" de la beauté des choses toutes simples qui nous entourent, qu'il su nous faire apprécier et transmettre, en toute modestie.

Nous garderons précieusement la joie des heures passées à partager ta belle langue, aux sonorités pleines de mélodie, de joie et de soleil, ainsi que tes recettes dont tu as a partagé les moindres secrets et qui aux seuls mots dégageaient l'arôme du thym, romarin et origan.

Gianni, tu as été un rayon de soleil pour nous tous, et ce même pendant la grisaille de l'hiver, généreux et toujours attentif aux autres, et ce jusqu'au dernier moment.

Dans nos oreilles retentissent et retentiront tes éclats de rire...

Merci Gianni, merci petit ange.

Intervention d'Eliane Vogel-Polsky


Depuis l’opération de Gianni, j’ai tenu le journal de nos rencontres, de nos conversations, de nos moments de grande confiance.
Je voudrais vous en rapporter un fragment, qui date de mai 2009.

- Tu sais, me dit-il, j’essaye de penser à de belles choses, de les visualiser. L’été dernier, quand nous avons été en Catalogne, nous avons fait une excursion, «
- En chemin, nous nous sommes promenés pour visiter un très beau parc et avons atteint un endroit absolument extraordinaire. Il est difficile de comprendre pourquoi, tout à coup, j’ai été envahi par la beauté du paysage, J’ai pourtant beaucoup voyagé et vu des pays, des régions spectaculaires, grandioses mais ici, je me découvrais en pleine immersion dans la nature, une nature qui pouvait paraître toute simple, presque ordinaire, sans rien de spécialement remarquable pour des touristes.

- Moi, j’ai été envoûté, tout entier par la sensation surprenante d’être uni à ce lieu par un lien vital, comme une prédestination, un pressentiment : Tu appartiens à ce paysage, et ce paysage t’appartient.
« Arrêtons- nous », ai-je dit à Laurent. « Cet endroit est magique : à droite, il y avait trois petits sapins. » Il les dessine dans l’air, de sa main amaigrie. « « Derrière eux, une rivière frémissante dans laquelle sautaient de petites truites, qui se confondaient avec les taches d’ombre qui jouaient sur l’eau. La musique de cette rivière m’enchantait. A gauche, il y avait une source, plutôt une cascade, en tombant sur les rochers, elle résonnait dans l’air pur et s’associait au bruissement de la rivière.
J’étais conscient à la fois du caractère quelconque du l’endroit et en même temps, j’étais transporté par un petit miracle. Ce que je voyais, ce que j’entendais, ce que je ressentais : tout me paraissait parfait.
La symphonie de la rivière et de la source se mouvait dans une sphère tellement harmonieuse qu’elle dépassait la musique de Mozart.
Je me suis enivré du chant profond de la nature » Sa main s’empare de la baguette invisible du chef d’orchestre et sa voix s’efface dans la mémoire de cette expérience qui l’a visiblement bouleversé.

Et tu sais, cette image de sérénité, de plénitude m’est sans cesse apparue, quand j’ai traversé cette épreuve terrible, que je demeurais sur mon lit d’hôpital à souffrir, à essayer de comprendre l’étendue du mal qui me rongeait.

Quand l’angoisse me prenait à la gorge, au cœur, aux tripes, que des cauchemars affreux me hantaient, pour me calmer toujours réapparaissait, devant mes yeux, le paysage magique. Là, dans cette chambre d’hôpital, en salle de réanimation, sur le chariot tiré par les brancardiers, quand rien ne se laisse voir sauf les plafonds jaunes pisseux des longs couloirs, dans le bloc opératoire, toujours cette image comme une incantation à la vie, comme un chaud rayon de soleil.

Alors, je voudrais que tu saches que j’ai demandé à Laurent quelque chose d’important : je veux que tu retournes là-bas, dans le grand Parc et que tu sèmes mes cendres dans la rivière, qu’elles se mêlent à l’eau chantante et s’écoulent vers la mer. »

Intervention de Rosario Spadaro

Chers amis,
Il m’est difficile de trouver les mots justes pour raconter Gianni. Une personne simple et pourtant un vrai personnage aux mille facettes, que nous avons eu, Claudio et moi, la chance de connaitre au fil des années. En particulier les années « Square de l’Aviation ».
Gianni l’artiste peintre et écrivain. Je le vois encore des après-midi dans son atelier à découper, coller, encadrer et nous raconter en même temps l’histoire de chaque œuvre : « Cette sculpture, c’est l’époque des Beaux-arts, ce tableau là-bas c’est Rome, … ». Certains soirs il descendait chez nous pour nous lire son dernier récit. Il était fier de nous faire partager avant tout le monde ces créations littéraires. « Vous êtes mes cobayes » disait-il. Et nous, nous étions heureux de vivre, au son de sa voix, les aventures mystérieuses d’un héros, tantôt étudiant dans les jardins de Rome, tantôt jeune garçon de Vignanello ou jeune esclave en quête de nouvelles expériences.
Mais avant tout pour nous Gianni est un ami. Un ami avec lequel nous avons partagé joies et moments de tristesse. Les joies d’avoir passé ensemble à se raconter les histoires du passé, des voyages au bout du monde, des projets de vacances au projet d’une maison avec un jardin. Ce jardin qu’il chérissait comme un petit joyau, parsemé de fleurs multicolores, de mille plantes. La tristesse aussi partagée ensemble suite à la disparition d’un être qui m’était cher. Gianni, dans sa simplicité, sa capacité à écouter et aimer, était un être exceptionnel, hors du commun.
Gianni a été aussi l’ami qui nous a fait partager son combat pour la liberté et sa passion extraordinaire pour la vie. Il nous a transmis sa curiosité universelle, toujours à la recherche des autres, d’autres cultures, de toute forme de beauté.
Sa manière de penser et d’être est pour nous une source d’inspiration.
Son sourire et ses éclats de rire résonnent encore dans nos cœurs. Ils nous accompagneront tout au long de notre vie.

Ciao Gianni,

Rosario

Intervention de Jean Vogel

Il était impossible de connaître Gianni sans l’aimer.
Je ne vais pas énumérer ici ses qualités humaines, ni rappeler son indéniable pouvoir de séduction.

Une chose m’a d’abord frappé chez lui, une chose que je n’ai jamais rencontrée- à ce point chez un autre que lui : une intelligence sensible, une intelligence du sensible qui le lançait dans une exploration incessante des couleurs, des figures, des corps, des visages, des parfums, des saveurs.

On dira que c’est le cas de bien des artistes – mais Gianni n’était pas un artiste comme les autres ou, ce qui revient presque au même, il n’était pas qu’un artiste.

La plupart des gens ont abandonné, ou égaré et oublié, le coffre aux trésors secrets de leur enfance ; ou alors celui-ci ne contient plus que quelques restes figés – poupées disloquées, oursons éventrés – passagers clandestins dans leur traversée de l’âge adulte.

Tout au long de sa vie, Gianni lui n’a cessé d’enrichir ce coffre de nouveaux trésors, d’en faire l’inventaire, de les embellir et de les donner à admirer à ceux qui désiraient voir.

Impossible de dresser un catalogue de ce qu’il avait recueilli : cailloux opaques, pierres semi-précieuses, masques nègres, soies d’Orient, bibelots biscornus, scarabées pétrifiés…
Dieu en soit loué, pas d’animaux empaillés néanmoins…

Ces objets de passion, il les avait accueillis par vagues successives.
Et c’est de même, par vagues successives, qu’il travaillait, qu’il produisait ses peintures, ses dessins, ses livres. Son travail était comme une succession d’explorations indéfiniment relancées : explorations d’un genre d’art, d’une manière de faire, d’un type, d’une figure, en variantes des dizaines voire des centaines de fois ré-imaginées et refaites.

Loin d’être en quête de l’œuvre unique, parfaite, Gianni peignait ou écrivait comme si la seule réponse à l’inépuisable variété du monde devait être l’inépuisable profusion de l’art.

Cette double exploration du monde et de son art répondait sans nul doute aussi à une exploration de soi. Dans une interview qu’il m’avait donnée en 2005, il disait : « C’est nous qui ne nous regardons pas assez, qui n’avons pas envie de découvrir certaines choses en nous. Il y a par exemple notre partie animale [bien entendu il aurait pu aussi parler de notre part végétale et de notre part minérale] à laquelle je m’intéresse beaucoup, car même l’esprit, la raison est une espèce d’organe qui s’est développé un peu trop, ou trop mal, ou peut-être pas assez, comme un membre atrophié des êtres humains ».

Par son travail, certes, mais aussi par sa parole, par sa présence, Gianni voulait toucher les autres, établir une résonance avec eux. Il disait encore : « On peut toucher quelqu’un sans le toucher véritablement, on le touche avec les yeux, avec la musique. Avec des fréquences, des longueurs d’onde, je voudrais toucher ces points sensibles qui entrent en vibration en moi au moment où je fais les choses ».

Dans la chanson d’un autre Laurent, de Laurent de Médicis, son compatriote toscan d’il y a cinq siècles, il est dit :
« Quant’è bella giovinezza
que si fugge tuttavia ! »

« Comme elle est belle la jeunesse
qui s’échappe si vite ! »

La trop brève vie de Gianni est comme un démenti apporté à la terrible vérité de ces vers.
Cette beauté de la jeunesse, il ne l’a pas laissé s’échapper, il a pu et il a su préserver sa jeunesse et se beauté jusqu’à ses derniers jours.

Le secret de la jeunesse invaincue, ce secret que possédait Gianni, n’est pas celui de Faust, il ne se trouve ni dans la gloire, ni dans le savoir.

C’est celui de la générosité.
Gianni était d’abord et avant tout un homme généreux, et jeune et beau parce que généreux.

C’est cela que j’ai éprouvé durant toutes ces années où j’ai eu le bonheur de pouvoir être son frère.

Je ne l’oublierai jamais.

Jeannot

Intervention de Michèle Roose

ancienne étudiante de Gianni à l’Académie des Beaux-Arts de la Ville de Bruxelles


Giovanni a été un prof impliqué et inventif.


Pour nous parler d'art, il apportait différents supports, dias, livres d'art bien sûr, des analyses faites sur les artistes, ou bien des écrits fais par les artistes, je me souviens des séances où nous lisions les lettres des deux frères van Gogh.

Il aimait nous faire mettre en relation différentes œuvres, de différents artistes, de différentes époques.

Il nous faisait participer activement et encourageait les échanges.

Et puis une fois par mois il nous emmenait au musée, voir une expo, et il nous aidait à lire l'œuvre que nous regardions.

Il était heureux de partager avec nous, ses élèves, son savoir et de susciter en nous un regard éclairé.

Aujourd'hui à chaque fois que je vais voir une exposition, que je m'arrête devant un tableau, je l'entends lui, avec son accent que j'aimais tant, me dire regarde, d'après toi qui ce peintre a vu, quel artiste l'a marqué, regarde l'équilibre ou les couleurs, ou cette partie ci plus particulièrement ...

Sa voix, ses conseils, son regard et son amitié je les garderai pour toujours.

"Maintenant, tu es au pays des rêves, tu vas voir plein de peintres, vous aurez beaucoup à vous dire.

Je t'embrasse très fort."

Intervention de Dominique Roynet

Je suis Dominique et je suis le médecin de Gianni depuis un peu plus d’une année.

Il était venu me voir à mon cabinet car il avait des douleurs abdominales et dorsales pour lesquelles les diagnostics et les traitements proposés ne lui donnaient pas satisfaction. La suite lui donnera raison.

Je ne le connais pas depuis longtemps, je ne le connais sans doute pas bien puisque je ne lui ai trouvé que des qualités mais je suis sûre que je ne l’oublierai jamais.

En son nom, celui de Laurent et je m’y associe, je voudrais remercier les équipes soignantes qui ont été présentes autour de lui au cours de ces derniers mois. Les équipes de l’Institut Bordet et tout particulièrement le service des soins supportifs du Dr Lossignol avec le Dr Isabelle, le Dr Bénédicte, les infirmiers, les kinésithérapeutes et le psychologue. Tous ces soignants ont été à l’écoute des demandes de Gianni jusqu’à la dernière pour l’aider à mourir dans la dignité. L’équipe de Continuing Care, soins à domicile, présence rassurante, plusieurs fois par jour, la kinésithérapeute qui venait à Bordet pour le masser avec des huiles essentielles et grâce à qui il a vécu une dernière détente de son corps physique quelques minutes avant de mourir.

Gianni avait le besoin de protéger les autres, toujours, même ses soignants. Nous parlions de la mort. Il savait qu’il allait mourir et, il y a trois semaines, je passais le voir chez lui, l’air plus tristounet que d’habitude, sans doute et il me disait : « Ne t’en fais pas Dominique, les artistes ne meurent jamais. »

Il « psychologisait » le psychologue, il « kinésithérapeutait » la kinésithérapeute et il avait toujours à suggérer quelque projet à venir.

Il m’a fait connaître les huiles essentielles et leurs vertus. Aussi leurs odeurs, toujours présentes autour de lui dans une chambre qui sentait toujours bon.

Gianni et Laurent, Laurent et Gianni. Ils ont impressionné tous les soignants par la force de leur amour dans une période où on voit souvent émerger des sentiments forts de colère, de peur, d’injustice, de rancœur. Rien de tout ça chez eux, seulement l’amour et l’énorme respect de l’autre.

Sans doute, l’ai-je aidé durant ces derniers mois ; lui, m’a apporté beaucoup alors… ciao amore, non ti dimentichero mai.


Texte écrit et lu par Judith

sa filleule de huit ans

Pour Gianni

Pour Gianni voici ma poésie
Mon cœur est lourd à cause de mon amour
J’ai composé ce poème parce que je t’aime
La terre s’endort parce que tu es mort
Tu es pour moi un arc en ciel -- un arc en ciel que j’aime
Pour moi tu étais un bonheur
Un bonheur qui effaçait les malheurs
Pour moi tu seras toujours grand, beau et fort
JE T’AIME GIANNI

JUDITH

Les abysses

(un texte de Giovanni Buzi, extrait de "Eaux Turquoises", 1996)

Lentes, fluides, de longues tiges d'algues privées de couleurs m'entourent.

Une dernière caresse avant de m'enfoncer vers des abysses sans fin.

Je ne vois plus les branches des coraux, ni les traînées lumineuses des poissons. Les chaudes transparences turquoise sont loin, à des mètres, à des kilomètres de distance.

Rien qu'une absence glacée.

Et mon corps flotte sans poids, sans mémoire, invisible, avec des mouvements qui suivent enfin le souffle du courant, sans obstacles, sans opposer résistance ni volonté.

Sacrifiant la lumière, j'exécute, inconscient, la plus harmonieuse des danses, l'abandon de soi pour se laisser transporter par les courants abyssaux.

Sans but, sans douleur.

Juste un glisser lent.

L'eau dissoudra mon corps comme du sel. Comme du sel, elle s'emparera des molécules enfin libres et elle les emportera, les fera siennes.

Certaines se mêleront au sable des fonds, d'autres vagueront dans les méandres les plus inaccessibles jusqu'à trouver les ravins où s'enfonce la terre parmi les gaz et les magmas incandescents, d'autres seront projetées en haut, vers la surface.

Je retrouverai les poissons qui me happeront, me transformant en ventres, nageoires, écailles. Les coraux captureront les poussières de mon corps et, métamorphose magique, les feront parcelles des tentacules mobiles, des cuirasses rouge sang.

Les plus heureuses continueront à errer sans but, accompagnant les mouvements de l'eau.

Transparentes dans la transparence, lumineuses dans la lumière.

Chansons choisies pour la cérémonie

Tango yiddish "Friling"

Pour écouter cliquez ici:Friling

Ikh blondzhe in geto, Fun gesl tsu gesl, Un ken nisht gefinen keyn ort; Nishto iz mayn liber, Vi trogt men ariber? Mentshn, zogt khotsh a vort! Es laykht af mayn heym itst, Der himl der bloyer-- Vos zhe hob ikh its derfun? Ikh shtey vi a betler, Bay yetvidn toyer, Un betl a bisele zun.

Friling, nem tsu mayn troyer, Un breng mayn libstn, Mayn trayen tsurik. Friling, af dayne fligl bloye, O, nem mayn harts mit, Un gib es op mayn glik. …

Ikh gey tsu der arbet, Farbay undzer shtibl, In troyer--der toyer farmakht. Der tog a tsehelter, Di blumen--farvelkte, Zey vyanen, far zey iz oykh nakht. Far nakht af tsurikvegs, Es noyet der troyer, Ot do hostu, libster, gevart. Ot do inem shotn, Nokh kentik dayn trot iz, Flegst kushn mikh liblekh un tsart …

S’iz hay yor der friling, Gor fri ongekumen, Tseblit hot zikh benkshaft nokh dir. Ikh ze dikh vi itster, Balodn mit blumen, A freydiker geystu tsu mir. Di zun hot fargosn, Dem gortn mit shtraln, Tseshprotst hot di erd zikh in grin. Mayn trayer, mayn libster, Vu bistu farfaln? Du geyst nisht aroys fun mayn zin.

Je traîne dans le ghetto, De ruelle en ruelle, Et ne trouve aucun repos. Ma bien-aimée n’est plus-- Et je me demande comment je peux endurer ça ? Je demande aux gens de dire quelque chose, n’importe quoi! Le ciel bleu illumine ma maison Mais je ne suis pas mieux pour autant. Je me tiens comme un mendiant dans les entrées, Quémandant pour un peu de soleil.

Printemps enlève-moi ma peine, Et amène ma bien-aimée, La personne qui m’est chère, Printemps sur tes ailes d’un beau bleue, Prends mon cœur avec toi, Et ramène-moi mon bonheur.

Désespéré, je vais au travail, Au devant de notre demeure. La porte est fermée. Une journée ensoleillé, les fleurs, flétrissent, Elles pleurent--car pour elles c’est la nuit également. Dans la soirée, en revenant, Ma douleur me ronge, Ici, mon amour tu avais l’habitude de m’attendre, Juste ici dans l’ombre, J’entends encore le glissement de tes pas, Et je me souviens comment, tendrement, Tu avais l’habitude de m’embrasser.

Cette année, le printemps, Est arrivé tôt, Mon grand désir pour toi s’est éclaté et épanoui, Je te vois comme si tu étais ici, Chargé de fleurs, Joyeusement venant vers moi, Le soleil a abreuvé le jardin de ses rayons, La terre s’est habillé de vert, Ma bien-aimée, ma chérie, A quel endroit es-tu disparue? Tu n’es jamais absente de mes pensées… »

(texte de Shmerke Kaczerginski, translittération du yiddish et traduction française par Wolf Krakowski)

Raoui (Le conteur) de Souad Massi

Pour écouter la chanson "Raoui"

traduction française


Raconte, ô conteur
Raconte une histoire, qu'elle soit une légende
Parle-nous des gens d'antan
De Loundja, la fille de l'ogresse et du fils du Sultan

Commence par "il était une fois"
Offre-nous des rêves
Commence par "il était une fois"
Chacun d'entre nous a une histoire au fond de son cœur

Raconte, oublie que nous sommes grands
Comme si nous étions des enfants
Nous voulons croire à toutes les histoires
Parle-nous du paradis et de l'enfer
De l'oiseau qui n'a jamais volé
Donne-nous le sens de la vie

Raconte, comme on t'a raconté
Sans en rajouter, sans en enlever
Prends garde, nous avons une mémoire
Raconte, fais que l'on oublie notre réalité
Abandonne-nous dans ce "il était une fois".

En arabe dialectal d'Algérie

ya Raoui hki hkaya, mada bik tkoun riwaya
hkili ala ness zmen, hkili ala elf lila w lila ,
ala lounja bent l ghoula, w ala wlid soltane

hajitak majitak, dini bid men 'had denya
hajitak majitak, koul wahad menna f kalbou hkaya
koul wahad menna f kalbou hkaya

hki w nsa belli hna kbar
dir fi ballak kili rana sghar, w nemnou koul hkaya
hkilna ala l jenna hkilna ala nar
w ala tir li omro a tar , fahamna maana denya

hajitak majitak, dini bid men had denya
hajitak majiiitak,koul wahad menna f kalbou hkaya
koul wahad menna f kalbou hkaya

ya Raoui kima hkawlak, matzid matnakass men andak, kayan li chfaw alabalak
hki w nassina men had zman
khallina f kan ya makan, kan ya makan

hajitak majitak, dina bid mhad denia
hajitak majitak, koul wahad menna f kalbou hkaya
koul wahad menna f kalbou hkaya



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