Giovanni Buzi: Promenades romaines

2001

extrait

 

 

Au crépuscule, une procession défile lentement.

Serpent lumineux qui se déroule le long du Tibre. Une partie du ciel s'allume d'orange rosé pour se dissoudre dans un rouge sombre. Le reste est déjà envahi par les ombres. Le château Saint-Ange en arrière-plan est une énorme masse violacée à peine éclairée par des torches fixées à intervalles réguliers le long des murs. Au sommet, la statue de l'Ange en train de dégainer son épée s'agite à la lueur de dizaines de cierges placés à ses pieds.
Un chœur accompagne le calme flux du fleuve. Des eaux sombres, haletantes.


Je sens venir, mêlées au gargouillis des eaux, les rumeurs lointaines d'une armée en marche. Les pas sur le pavé, le piaffement des chevaux, des cris, des hurlements, le grincement des armes, les trompes, le pas muet des prisonniers.
Je demeure suspendu contre le parapet de la terrasse du Janicule entre la ville et le ciel.
Dans le labyrinthe des rues, je vois disparaître les derniers flamboiements de la procession.


Un vent tiède porte l'odeur des pins. A mes pieds s'enfonce la masse informe d'arbustes et de pierres. Plus bas, les premières constructions, çà et là des lanternes jaune ocre. Remontant avec le regard, sans fin, Rome s'étend lumineuse.


L'on devine quelques façades d'églises, un monument antique, un obélisque, le coquillage chaud d'une place, des palais sombres et massifs. Au fond, un énorme bloc de marbre blanc, marbre qui repousse la patine du temps et semble dressé en honneur de la plus puissante et terrible des divinités. C'est l'autel de la patrie, il ne renferme aucun dieu, seulement les dépouilles anonymes d'un jeune homme mort à la guerre.


Derrière mois le jaillissement d'une fontaine. Je me retourne ; ce n'est que le vent.


Des chemins parmi les arbres. Des dizaines de fantômes pétrifiés, des bustes.


Un chien errant renifle la terre. Il lève son museau, tourne la tête, me regarde un instant, puis disparaît dans l'obscurité.

*

Au crépuscule une couleur or glisse le long du fleuve, sur les rues et les places. Le vert des jardins, l'azur du ciel se délayent. Le marbre des statues prend un ton chaud, couleur chair. Pour peu elles sembleraient reprendre vie. Une poitrine respire, une jambe fléchit.


Une tête se tourne.


Regard de pupilles vides.


Une déesse descend du piédestal et chemine dans les allées d'un jardin. Elle s'arrête en haut d'une terrasse et regarde la ville, les plis de sa tunique légère agités par le vent. Deux lutteurs reprennent leurs jeux sur l'herbe. Un cheval galope entre les lauriers-roses. Une statue d'empereur reluit dans sa cuirasse de bronze. Il fait errer son regard sur les ruines de la Ville Eternelle, vers la chaussée défoncée de la Via Sacra, les palais, les arcs de triomphe écroulés, les colonnes des temples brisées à terre.


Un jeune dieu ailé s'éveille au-dessus d'une colonne. Un saut et il plane parmi les ruines, se pose à côté de fragments de chapiteaux, de frontons, de pilastres. Recueille un éclat et s'envole au loin.


La lumière dorée se dilue lentement en transparences célestes d'une clarté irréelle. Les statues perdent ce souffle de vie, la chair redevient pierre.


D'ici peu les ombres de la nuit couvriront hommes et dieux.

 

 

 

 


 

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